wp85f211b8.png
wp77ed0c7b.png
chronique de Christophe Bier  
émission «Mauvais Genre» • FRANCE CULTURE avril 2007

Tabou-Editions, nouvel éditeur érotique, publie Sexreporter d’Ange Rebelli, un pseudonyme vindicatif cachant un authentique bourlingueur sillonnant les tréfonds des salons érotiques d’Europe, les tournages X et les boîtes échangistes de l’hexagone. Ce drôle d’envoyé spécial se définit comme journaliste gonzo, un déclassé plongeant au fond des chiottes d’un monde trop propre pour être honnête. Comme ses images vidéo, son style est brut et fonce à l’essentiel.
En disséquant ses années d’errance, Ange Rebelli ne cède en rien à la mode complaisante de l’auto-fiction mais rejoint une tradition littéraire naturaliste et populaire, se délectant d’un Paris interlope et de ce que le bourgeois appelait les « vices ». Un regard aussi lucide que lyrique sur les milieux du porno le moins reluisant. On pense aussi aux photos drolatiques de Yann Morvan. Dans une grandiose bassesse, hérétiques, dérisoires, parfois affligeants, des personnages ubuesques traversent le livre comme Patrick Pean, vrp en machines à café recyclé dans le porno grâce à des capacités physiques inversement proportionnelles à son QI. Improvisé réalisateur, dans un mas provençal de luxe avec piscine et Limousine, shooté à la coke, il offre un numéro de mégalomanie sexuelle, où jouissance et pouvoir se confondent. Retenons aussi Citizen Fez, bon Musulman et pionnier de la vidéo X cellophanée en kiosque, producteur d’un porno prolétaire tourné à peu de frais puis conditionné dans la cave atelier d’un immeuble décati par un jeune lumpen prolétariat qui transpire dans le ronronnement sinistre de cinq cents magnétoscopes enregistrant des râles magnétiques. Mentionnons encore des reines de l’extrême comme Ana, coiffeuse en rupture de salon rencontrée sur le tournage d’une vidéo de catch où elle immobilisait la Louve Germanique dans un face sitting vainqueur. Ange Rebelli brocarde parvenus et exploiteurs mais réserve sa tendresse aux déshérités. Sa culture est punk, sa plume trempée à la lecture des pamphlets anarchistes et de ceux de Léon Bloy. Promotteur d’un fanzine libertaire, Stupre, qui, fait rarissime, fut censuré dans les années 80, il créa aussi une revue qui mêlait sexe et rock n’roll. Son titre : Soleil Noir, magnifique oxymore. Il y publia André Héléna, fasciné comme lui par la poisse. L’auteur du Bon Dieu s’en fout aurait sûrement apprécié le portrait implacable et sentimental qu’Ange Rebelli dresse de Pigalle, dans la première partie de son livre, ses années d’apprentissage. Jeune étudiant, il arpentait le bitume comme rabatteur de boîtes de nuit, au milieu des demi-sels, des pigeons de province, des condés arnaqueurs et des putes décaties. Une vie en eaux troubles qui façonna un journaliste atypique, entre le dandy transgressif et le romancier punk.